Inviato da Claude Beaunis il 03/08/10 – 09:39
INTRODUCTION
Le souci premier de toute société est l’éducation de ses membres. L’école primaire, cadre institutionnel de formation des enfants, contribue à cette éducation de l’Homme de demain. La loi d’orientation de l’éducation de base du Burkina Faso fait de la formation morale, intellectuelle et physique, une des finalités de l’éducation afin de permettre au jeune écolier d’accomplir ses tâches futures d’Homme. Seulement les méthodes employées par certains principaux acteurs de l’éducation, en l’occurrence les enseignants, sont en déphasage par rapport aux principes de la psychologie de l’enfant. Il s’agit de la violence physique, morale et psychique dont il est victime. Ces pratiques dont les conséquences influent négativement sur la vie de l’écolier interpellent plus d’un. C’est pourquoi, l’Association Burkinabé de l’Ecole Moderne (ABEM), soucieuse de la promotion des Droits de l’Enfant a choisi de faire imprégner cette situation aux participants de la 28e RIDEF en tenant l’atelier don le thème est : LA PROBLEMATIQUE DES CHATIMENTS CORPORELS DANS LES ECOLES PRIMAIRES DU BURKINA FASO.
REPERES HISTORIQUES
La méconnaissance de la psychologie l’enfant, des préjugés d’ordre socio psychologique ont de par le passé, porté préjudice à la formation intégrale de l’enfant en milieu scolaire. Il était considéré comme un « petit Homme » et traité comme tel. On l’entourait d’un mythe qu’il fallait éradiquer pour en faire un être sociable. La violence dans toutes ces formes était criarde dans les écoles. Ces pratiques s’amenuisent au fil du temps, mais elles subsistent encore sous certains cieux et il n’est pas aisé d’en dissuader les auteurs. C’est le cas du Burkina Faso où pourtant, depuis1965, un décret interdit les châtiments corporels dans les écoles. Voyons ce qu’il en est de la situation actuelle.
III) Situation contextuelle
1) Constat
Au Burkina Faso les instituteurs en général usent des châtiments corporels comme moyen pour des fins éducatives. L’Association Burkinabé de l’Ecole Moderne a mené une enquête dans 4 provinces du pays pour s’imprégner de la situation du phénomène. Au total 200 instituteurs se sont prêtés à nos questions. Le résultat de cette enquête n’a fait que corroborer un triste et amer constat. 71 % de ces instituteurs affirment que les châtiments corporels sont une nécessité pour une éducation de qualité. Ces châtiments vont de la mise à genoux aux pieds au mur, des pincements du ventre, des oreilles, des joues, mais aussi des claques, des coups de fouets, des pompes, des privations de passer à la cantine, des coups de bâton ou de règle sur le bout des doigts ou dans la paume etc. Pour ces instituteurs, la contrainte, les punitions et les privations sont l’essence d’une bonne éducation. Voyons de plus près leurs perceptions.
2) Perceptions
Les raisons pour lesquelles la majorité des instituteurs burkinabé avancent pour justifier de telles pratiques sont d’ordre pédagogique, social ou culturel. Voici quelques propos : « Pour une éducation de qualité, il faut de temps en temps des châtiments car les enfants de nos jours sont insupportables » affirme un instituteur. « Le châtiment corporel est intiment lié à l’éducation et aux mœurs de l’Homme. Son coté animal commande qu’on le contraigne quelques fois. Le châtiment doit être proportionnel à la faute commise » nous dit un autre. Dans le même ordre d’idées cette institutrice affirme que : « l’éducation scolaire ne doit pas être en rupture avec l’éducation que l’enfant reçoit à la maison et on sait bien que la chicotte est incontournable dans nos familles ». Et un autre d’ajouter que se sont les parents eux-mêmes qui l’exigent. Que dire de ce collègue qui affirme qu’une éducation sans contrainte n’en n’est pas une, mais relève plutôt du “laisser-aller “ ». « Du n’importe quoi » renchéri un autre. « Je ne sens mon autorité et le respect que quand j’ai ma chicotte dans ma main ou pendant à mon cou. En ce moment je peux entendre les mouches voler et mon cours coule comme de l’eau de roche » nous confie un enseignant. Celui-là nous dira que c’est de la malveillance et de l’hypocrisie que d’affirmer qu’il peut y avoir une éducation sans contrainte (contrainte renvoyant aux sévices). Il a affirme que s’il est ce qu’il est aujourd’hui, c’est parce que son maître a mis du sérieux dans son éducation et ce“sérieux“ est la cravache et les punitions. Pourquoi priver nos élèves de cette chance dont nous avons bénéficiée de nos maîtres ? Conclu-t-il. « Je ne suis pas fier quand je frappe, encore moins heureux mais je le fais parce que je suis assujetti à des résultats de fin d’année que me demandent mes supérieurs, les parents d’élèves et mes collègues » affirme un maître du CM2 (classe d’examen). « Je ne châtie point par carence ou par incompétence mais plutôt pour les cas d’indisciplines caractérisées » se console un autre collègue. D’un doigt accusateur cet instituteur soutient que l’on ne l’a appris à enseigner autrement. « Je suis le pur produit de mes maîtres de stage » a-t-il conclu.
Les raisons avancées ne sont pas exhaustives. Cependant, si elles ont un point commun, c’est qu’elles permettent à tous ces enseignants de décharger leur furie sur des âmes et des corps aussi innocents que fragiles.
IV) Causes
Les raisons pour lesquelles les châtiments corporels sont toujours très présents dans nos classes sont diverses. Nous avons pu identifier en premier lieu la méconnaissance des textes et lois qui les prohibent. En exemple et dans le cadre de notre enquête, 83% des instituteurs questionnés ignorent que la constitution du Burkina Faso en son article 2 stipule que : « La protection à la vie, à la sécurité et l’intégrité physique sont garanties. Sont interdits et punis par la loi, l’esclavage, les pratiques esclavagistes, les traitements inhumains et cruels, dégradants et humiliants ; la torture physique ou morale ; les sévices et les mauvais traitements infligés aux enfants et toutes les formes d’avilissement de l’Homme ». 30% de ces instituteurs ne savent pas que la Convention des Nation Unies relative aux Droits de l’Enfant dit à son article 19 alinéa 1 que : « Les Etats parties prennent les mesures législatives,sociales et éducatives appropriées pour protéger l’Enfant contre toute forme de violence,d’atteinte ou de brutalité physique et mentale,d’abandon ou de négligence,de mauvais traitement ou d’exploitation,y compris la violence sexuelle pendant qu’il est sous la garde de ses parents ou l’un d’eux,de ses représentants légaux ou toute personne à qui il est confié… ». Le décret 289 bis…, la loi 013-2007/AN du 30 juillet 2007 portant loi d’orientation de l’éduction, la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, la charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant sont autant de textes qui interdisent de façon claire ou tacite les châtiments corporels. Cependant, ils sont également méconnus des instituteurs.
Il y a aussi que nombre de nos collègues ne s’identifie et ne s’affirment que dans une démarche d’apprentissages contraignante, des méthodes aussi dogmatiques que dépassées oubliant que la pédagogie plus que toute science ne saurait rester en marge d’une quête du « mieux-être ». A cela est liée l’insuffisance de stages de recyclage. En effet, l’instituteur Burkinabé, une fois sorti de l’Ecole Nationale des Enseignants du Primaire (ENEP), en dehors des groupes d’animation et des conférences pédagogiques, bénéficie très peu de stages pour renforcer et consolider les acquis de sa formation de base. Dans les rare cas ou cela se présente, les questions de violence en milieu scolaire n’ont presque pas le droit de citer tant on ne s’en fait l’écho de sa dangereuse menace pour notre système éducatif.
Aussi l’enseignement primaire au Burkina Faso est devenu un pis-aller pour tous ceux qui ont au moins le BEPC et qui n’ont pas eu la chance d’être admis à un autre concours. Il est assez facile de se faire engager après sa formation si l’on paye soit même ses frais d’étude dans une école publique ou privée. Certains ne cachent d’ailleurs pas le fais qu’ils y sont arrivés par dépit ou par désespoir de cause. Cherchons également les causes du phénomène ailleurs.
Dans le programme officiel qui date de 1989, aucune mention explicite n’est faite sur l’enseignement des Droits de l’Enfant. Autrement dit, aucun enseignement explicite Sur les Droits de l’Enfant n’est dispensé dans nos classes si l’on s’y conforme.
Que dire des pesanteurs socioculturelles ? Nous avons précédemment rapporté que les instituteurs qui s’adonnent aux châtiments corporels soutiennent qu’ils sont dans nos familles, dans nos coutumes et nos mœurs. S’il y a une part d’objectivité dans ce qu’ils avancent, c’est que la vie de l’enfant burkinabé n’est guère peinte en rose. La violence est présente dans les familles, dans la rue et très tristement dans les écoles. Faut-il pour autant calquer un non-sens, un mal être social au point de refuser toute aspiration à une pédagogie coopérative et à visage humain ?
V) Conséquences
Les châtiments corporels ont des conséquences fâcheuses sur le processus de développement de l’éducation et sur les élèves très particulièrement. La déperdition scolaire est une des conséquences la plus patente. Au Burkina Faso, bien que l’école soit gratuite et obligatoire jusqu’à l’âge de 16 ans, nombreux sont les enfants qui se sauvent des classes avant la fin de leur cycle primaire. Les sévices qu’ils subissent sont à plus d’un titre la raison de ces abandons. Salif, 14 ans que nous avons rencontrés dans un cite d’orpaillage nous raconte : « j’ai quitté l’école en classe de CE2 parce que la maîtresse était très méchante. Elle me frappait à toutes les occasions ; pour une faute en dictée, pour être venu en retard à l’école, pour avoir oublié de balayer la classe ».
Les châtiments corporels sont également à l’origine de la baisse de rendement chez certains élèves. Que peut-on apprendre dans la peur ? Que peut-on retenir dans une perpétuelle menace d’être fouetté et humilié ? Ainsi, les élèves sont perturbés et leurs performances en prennent un coup. « Souvent je connais ma leçon mais dès que le maître crie ou fait sortir sa chicote, je prends peur et j’oublie tout »nous confie Adeline en classe de CM2 et d’ajouter que son petit frère qui est au CP2 joue souvent au « faux malade » pour rester à la maison afin d’éviter la cravache de la maîtresse.
Les conséquences des châtiments corporels sur la santé physique et mentale de l’enfant ne sont non moins négligeables. Les élèves violentés sont souvent victimes de blessures et au pire des cas la mort s’en suit. « Pendant plus d’une semaine, je ne pouvais me coucher sur mon dos blessé par les coups de fouets de mon maître. La seule faute que j’ai commise, c’est d’être venu en retard à l’école » nous édifie François, 11ans en classe de CE2. A moyen ou long terme, les victimes peuvent sombrer dans la dépression, dans l’alcoolisme ou dans la toxicomanie.
Les châtiments corporels incitent à la violence. On n’apprend nullement autre chose à l’enfant en le frappant ou en le violentant qu’à frapper ou violenter. Une cour de recréation ne peut être un havre de paix si la classe est le couloir de la terreur. Il va de soi que l’affectivité de l’enfant soit compromise et à l’échelle sociale, ce sont les jalons d’un monde d’incivisme, de grand banditisme et de terrorisme qui sont posés.
VI) Solutions
L’Etat burkinabé ne ménage aucun effort pour la quête de qualité dans sa politique éducative. Beaucoup d’acquis ont été engrangés tels les lois et décrets interdisant les châtiments corporels à l’école primaire, les grands projets d’éducation tels « Education pour Tous », le Plan Décennal de Développement de l’Education de Base etc. Des ONG et associations telles Plan Burkina, Save the Children, Œuvre Suisse d’Entraide Ouvrière, le Mouvement Burkinabé des Droit de l’Homme et du Peuple s’investissent également dans la promotion des Droits de l’Enfant. Cependant beaucoup reste à faire. Nous, Educateurs Freinet regroupés au sein de l’Association Burkinabé de l’Ecole Moderne, avons une démarche et une philosophie éducative qui nous place à l’avant-garde du combat pour le respect des Droits de l’Enfant. Il s’agit de la Pédagogie Freinet. Toute notre démarche repose sur quatre axes fondamentaux que sont l’expression libre et la communication, le tâtonnement expérimental, le travail individualisé et la vie coopérative. Dans notre démarche, nous prêchons par l’exemple à l’endroit des acteurs concernés par le phénomène.
- A l’endroit des élèves :
Nous pratiquons une pédagogie en rupture avec les méthodes traditionnelles et dogmatiques. Le maître gendarme fait place à l’éducateur guide, ami et complice. Nous nous donnons les soucis de prendre en compte la diversité, la globalité et le caractère unique de chaque enfant. Dans nos écoles, le règlement intérieur est élaboré de concert avec les élèves. Nous nous efforçons donc à prendre des engagements plutôt qu’à élaborer des ordres et des interdits. Le caractère de non violence y est clairement évoqué (voir annexe 1). Par nos méthodes, nous instaurons un climat de confiance et d’apprentissage sans peur ni gène. Nous dispensons dans nos classes des cours (leçons pratiques, travaux dirigés) relatifs aux Droits de l’Enfant.
- A l’endroit des enseignants :
De façon individuelle, les Educateurs Freinet qui nous le rappelons sont tous « des enseignants sans chicotes » mènent des actions (échanges de pratiques et débat d’idées) au sein de leur école pour amener leurs collègues qui s’y prêtent toujours de prendre conscience de la dangerosité et de la gravité de leur pratique. Nous tenons également des ateliers y relatifs dans les groupes d’animation pédagogique et les conférences pédagogiques annuelles. Nous animons des émissions Radiophoniques sur le respect et la promotion des Droits de l’Enfant.
- A l’endroit des parents :
L’Association Burkinabé de l’Ecole Moderne mène des actions de sensibilisation (causeries-débats) dans les villages autour des questions de l’éducation et des Droits de l’Enfant. Les parents sont également notre publique cible pour les émissions radiophoniques précédemment évoquées.
- A l’endroit du décideur :
Nous estimons que l’institution scolaire doit être orientée vers l’éducation que vers l’instruction. Nous estimons également que l’instituteur recruté sur la base du BEPC et qui ne bénéficie que d’une année de formation est un aspect handicapant. Pour nous, la recherche de la qualité, surtout du bien-être de l’enfant ne saurait être sacrifiée sur l’hôtel d’aucune autre considération. Nous estimons que la durée de la formation doit être ramenée à deux ans comme cela l’était avant 2002.
Nous recommandons que les Droits de l’Enfant soient explicitement consignés dans nos programmes officiels et enseigné dans les Ecoles de Formation des Enseignants du Primaire et dans les classes. Aussi que les lois, chartes et conventions existantes soient respectées et que tout contrevenant répond de ses actes devant les autorités compétentes. A ce propos, nous nous désolidarisons de tout acte de violence avéré commis par un collègue instituteur. Nous nous réservons même le droit de nous constituer parti civile pour que justice soit rendue.
Nous estimons également que les effectifs pléthoriques de nos classes sont une grande difficulté pour les enseignants. Le propos d’un étudiant français d’un Institut Universitaire de Formation des Maîtres (IUFM) illustre bien ce cas : « J’ai été choqué de constater dans certaines de vos classes que des enseignants font usage de la chicote ; cependant je me demande comment je m’y serais pris face à leur effectif de plus de 100 élèves souvent »nous a-t-il confié.
CONCLUSION
Les Droits de l’Enfant sont bafoués partout dans le monde, même dans les plus grandes Démocraties. Les enfants sont victimes de maltraitance physique et/ou d’harcèlement moral dans les lieux où ils devraient être le plus en sécurité (familles, écoles). Cette frange de l’humanité, espoir d’un monde à la croisée des chemins et face aux nouveaux défis de la planète (réchauffement climatique, terrorisme, cybercriminalité etc.), fera l’histoire à l’image de ce qu’elle a vécue. Cela commande que tous les acteurs de l’éducation, à quelle échelle soient-ils, face preuve d’une prise de conscience collective et d’un sursaut commun, afin de poser les jalons d’une éducation à la paix et à l’amour.
Yacouba OUEDRAOGO, instituteur à Sillaléba et membre de l’ABEM (Burkina Faso)
Sambo Fidèle KABORE, instituteur à Tamiga et membre de l’ABEM (Burkina Faso)